Ce tableau est une représentation d'Erzulie Dantor identifiée à la Vierge Noire, figure très puissante du panthéon vaudou. Il a été réalisé en 2010 par Deronsiers, artiste peintre de Pétionville (Haïti), qui est un ancien élève du maître Ismael Saincilus (1940-2000).
Saincilus originaire de Petite-Rivière-de-l'Artibonite est un des peintres les plus célèbres en Haïti, et son œuvre est internationalement reconnue. Il a beaucoup enseigné, et formé plus d'une centaine d'élèves , comme Errol Louis et Alix Dorleus. Certains, tels des disciples du maître, avaient l'insigne honneur (comme c'est l'usage en Haïti) de réaliser les fonds et les contours de ses œuvres, caractérisés par des arabesques complexes et des motifs géométriques chaque fois différents.
Les "disciples" préparaient les toiles en quelque sorte, avant que l'artiste n'y appose ses finitions. Deronsiers était l'un de ses disciples et a continué à produire des œuvres dans le plus pur style de son maître Saincilus en y apportant une touche personnelle, notamment en accentuant la précision dans les dessins et motifs ornementaux des vêtements des personnages.
Saincilus a développé un style unique et immédiatement reconnaissable, allant des scènes de la vie paysanne et des scènes de marché à la représentation de personnages du panthéon vaudou, rendus avec la complexité ornementale et la précision d'une icône byzantine. Un personnage récurrent dans les peintures de Saincilus est Erzulie : elle est la loa de l'amour, de la beauté, des bijoux et de la coquetterie, mais aussi une déesse guerrière et combattive. Saincilus a réalisé de nombreux tableaux représentants Erzulie, dans des déclinaisons variées: Erzulie Freda, Erzulie Gé-rouge, Erzulie Kaoulo, Erzulie Dantor.
Erzulie Dantor est identifiée parfois à la Déméter-Cérès africaine (culte de la déesse des moissons et de sa fille Perséphone introduit en Afrique par les Grecs via Carthage, les Cereres), figure sublime et Reine de la Terre. Le culte a perduré à Carthage et au Nord de la Tunisie, il est même attesté à Djemila en Algérie à l'époque romaine, et a pu se répandre à travers l'Afrique pendant plusieurs siècles. Mais l'historiographie accessible n'est pas très explicite sur la façon dont le culte des Cérères berbères de l'époque de Jugurtha serait parvenu jusque dans l'île lointaine d'Haïti au XIXè siècle pour devenir celui d'une des plus puissantes loas du vaudou haïtien, Erzulie Dantor. Les points communs toutefois existent: Erzulie Dantor est une guerrière, féroce protectrice des femmes et des enfants, qui n'est pas sans rappeler le culte d'Ifri (déesse guerrière de la Numidie antique rebaptisée "Dea Africa" par les Romains, et qui aurait donné son nom au continent!). Et la civilisation berbère a connu des guerrières célèbres. Il faudrait admettre qu'un amalgame syncrétique entre Demeter-Ceres (greco-romaine) et Ifri (Berbère) distillé et décanté au prisme d'une christianisation militaire ait conduit au cours des siècles à la naissance d'Erzulie Dantor de l'autre côté de l'Atlantique. La question de l'origine africaine d'Erzulie est donc posée; cet article ne prétend pas y répondre et ne vise qu'à apporter des clés de compréhension d'une œuvre peinte au spectateur qui s'y attarderait.
Autre piste: Erzulie Dantor est également identifiée dans de nombreuses sources à la Vierge Noire et à Notre Dame du Perpétuel Secours, la Vierge d'Orient, la Madone Miraculeuse, comparaisons héritées de l'époque coloniale où la figuration et la matérialisation des loas et des anges du panthéon vaudou se faisait par une représentation détournée des saints catholiques connus. A chaque loa correspondait un saint catholique. Pour cacher leur dévotion aux divinités vaudoues, les artistes les affublaient de symbôles chrétiens. On a avancé, et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable, que les représentations d'Erzulie Dantor auraient pour origine des copies de l'icône de la Vierge noire de Częstochowa apportées par des soldats polonais lors de la révolution haïtienne à partir de 1802-1804.
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