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EXPO: "Waiting for Omar Gatlato" / Art contemporain d'Algérie à la Columbia University

Déjà célébré en Belgique dans le cadre de Moussem Cities, l'art contemporain algérien intéresse aussi outre-atlantique. La prestigieuse Columbia University School of the Arts présente jusqu'au 15 mars 2020 une exposition dédiée aux arts visuels contemporains de l'Algérie qui réunit plus d'une vingtaine de créateurs algériens et de la diaspora au Lenfest Center for the Arts (West Harlem, NY), parmi lesquels Mourad Krinah, Louisa Babari, Bardi, Adel Bentounsi, Zoulikha Bouabdellah, Fella Tamzali Tahari, Djamel Tatah, Sofiane Zouggar, etc.



L'exposition, curatée par Natasha Marie Llorens, est produite par une des galeries d'art partenaires de la Columbia University, la Miriam and Ira D. Wallach Art Gallery. Elle a bénéficié du soutien des services culturels de l'Ambassade de France aux Etats-Unis qui a créé il y a plusieurs années un ambitieux programme de soutien à la recherche, aux échanges et au développement de partenariats franco-américains dans le domaine de la création contemporaine (Etant Donnés) en partenariat avec la FACE FOUNDATION.

La commissaire de l'exposition a ainsi bénéficié d'une "bourse de curation" attribuée par l'Etat français pour concevoir et réaliser ce projet. L'exposition Waiting for Omar Gatlato a été conçue comme une vaste enquête à la fois sur les artistes algériens établis et ceux de la génération qui arrive à maturité dans une Algérie post-guerre civile et dans sa diaspora. Si elle répond directement à la spécificité du contexte socio-historique de l'Algérie en apportant une visibilité aux artistes vivant et travaillant en France et en Algérie, elle permet aussi d'éclairer la singularité d'une Algérie qui, vu des Etats-Unis, est souvent confondue avec d'autres pays du Golfe ou du Moyen-Orient, et reste bien moins connues que la Maroc ou la Tunisie. Fort bien documentée et étayée de nombreux témoignages d'historiens de l'art, d'artistes et de spécialistes de l'art contemporain , l'exposition s'efforce méthodologiquement de résoudre une aporie tenace vis-à-vis de l'Algérie de sa diaspora française. Selon Natasha Marie Llorens en effet:


"Les artistes qui appartiennent à l'Algérie sont pris entre une mythologie nationale qui ne les représente pas et un espace historique occulté par l'amnésie sanctionnée par l'État des deux côtés de la Méditerranée." (cf. Livret d'introduction de l'exposition)


Le titre de l'exposition "Waiting for Omar Gatlato",est emprunté à une publication bien connue qui traite des premiers films algériens réalisés après l'indépendance et éditée en 1979 par Wassyla Tamzali. Cet ouvrage faisant lui-même référence à la pièce de Samuel Beckett et au film culte de Merzak Allouache Omar Gatlato(1976).

Le fil directeur de l'exposition est donc bel et bien annoncé par son titre: de la même façon que Omar Gatlato et les anti-héros de En Attendant Godot semblent attendre l'arrivée d'une figure transcendante pour les sauver et donner un sens à leur vie quotidienne, les artistes algériens d'aujourd'hui s'interrogent dans leurs œuvres sur le sens de leur engagement et le rôle que l'art peut ou doit endosser dans le processus de décolonisation (toujours pas vraiment achevé ?) et de démocratisation de l'Algérie.




Adel Bentounsi, "CV", 2019 . Pressure cooker with keyboard stickers from PC
"CV", 2019 / ©Adel Bentounsi

On comprendra que la mobilisation populaire qui s'est auto-déclenchée en février 2019 en Algérie en réaction à l'annonce d'un possible 5ème mandat du président Bouteflika, et qui a surpris la terre entière, tant par son amplitude croissante que par son caractère non-violent et toujours pacifique à ce jour, est bien évidemment au cœur du sujet. Rien de surprenant par conséquent que les équipes curatoriales et le comité de gouvernance de la prestigieuse Wallach Gallery décident de consacrer un focus aux grandes tendances de l'écriture artistique algérienne qui ont précédé, annoncé ou accompagné ce mouvement, et continuent de le faire.


Les organisateurs de l'exposition ont convoqué la fine fleur de la création contemporaine algérienne. La plupart des artistes représentés connaissent aujourd'hui un succès sur la scène international. D'autres, qu'on qualifiera d'"émergents" sont tout aussi légitimes en ce qu'ils ont tous travaillé sur le thème récurrent voire permanent de l'histoire tourmentée de leur pays, puisant dans les témoignages, les archives, explorant les traces du passé. La période coloniale, la guerre de libération, la décennie noire, les dérives totalitaires post-coloniales, ces sujets reviennent constamment dans la narration de l'Algérie contemporaine.



Le choix d'une œuvre connue de Mourad Krinah "La Valse du Samedi - Hommage à Paolo Uccello"(Graphic wallpaper) pour illustrer l'affiche de l'exposition n'est pas anodin. Mais contrairement à ce qu'annonce la légende, l'oeuvre ne date pas de 2019 et ne se réfère pas au Hirak. Il y évoque des mouvements qui s'étaient déroulés en 2011, avant que les manifestations aient été interdites dans la ville d'Alger. La journaliste Hojar Chokairi l'avait déjà documentée en 2015 dans un article du site Onorient à propos de l'activisme artistique alternatif à Alger (Box 24, Picturie Générale, La Baignoire, etc. )


"Dans « la valse du samedi », qui capture une ronde de policiers tourbillonnant  autour d’une manifestation; Mourad dessine les contours d’une contestation digne d’une pièce de théâtre. « En 2011, nous raconte-t-il,  les manifestations qui ont essaimé à Alger, se déroulaient tranquillement tous les samedi ». C’est donc un jour de weekend que les policiers et les manifestants revêtaient chacun leurs uniformes pour aller danser devant les caméras, virevoltant au gré des accrochages et des contestations."


L'artiste avait alors précisé:« En Algérie, il n’y a pas de réelle opposition constituée. Une des raisons pour lesquelles la contestation est restée lettre morte réside dans la nature des revendications, plus sociales et économiques que politiques ».

Autre contexte, autre époque, autre jour de la semaine. Les temps changent. Mais cette oeuvre peut-être prémonitoire de Mourad Krinah, qui fait aussi l'affiche du Festival Moussem Cities de Bruxelles(s'agissant d'une œuvre digitale imprimée, elle peut être reproduite et présentée simultanément en différents endroits), s'est rechargée des événements récents et gagne en intensité . Elle se voulait l'illustration de revendications sociales et économiques en 2011, mais peut tout autant symboliser le mouvement de contestation politique né il y a tout juste un an dans les rues d'Alger. Il ne restera à Mourad Krinah qu'à rebaptiser son œuvre "La Valse du Vendredi"…


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